La surprise du jour
Il y a toujours de l’imprévu dans un festival. Ces sont des rencontres qui se font ou ne se font pas, ce sont aussi des spectacles qui démarrent à l’heure ou qui prennent du retard. Mais parmi les plus grandes préoccupations des organisateurs, il y a celle de la navette. Ce bus, ou à l’occasion cette voiture, qui conduit des gens d’un point A à un point B (en l’occurrence d’une salle de spectacle à une autre). Cela semble simple, un trajet en ligne droite, et pourtant c’est sans compter un retard du bus, une panne éventuelle ou même l’oubli d’un passager. Rien de tout cela pourtant dans la navette pour Tournai du 17 octobre, rien de plus grave qu’un quiproquo.
Tout commence par un heureux détour. Dans ce texte, nous ouvrons une parenthèse et commençons la digression. Le trajet initial qui devait conduire de la Rose des Vents à la Chapelle de Choiseul pour la représentation du Giulio Cesare de Castellucci s’est en effet enrichi d’une étape au musée de la marionnette de Tournai. Charmant petit musée, sous la coupole duquel nous avions du mal à tenir. Il y a les gens du bus et d’autres spectateurs. Il faudrait presque agrandir les portes, nous frottons contre les boiseries et leur peinture, fait main d’un autre siècle. Notre groupe d’une vingtaine de personnes ne se presse pas sur les bancs. Pour quinze places assises, la politesse nous ferait presque tous rester debout.
NR2 de Benjamin Verdonck est donc l’heureuse surprise de cette soirée. Un cadeau qui emballe : une boite pleine de surprises. Pendant qu’un guitariste pince de manière très douce son instrument jusqu’à en obtenir un air mélancolique, le spectacle se joue dans cette boite. Je ne connais pas ses dimensions, même après l’avoir regardé de près, je ne saurais pas expliquer tous ces mécanismes, et c’est peut-être mieux comme cela. Ce qu’il y a dans cette boite c’est une petite phrase qui apparait mot à mot sur des cartons et des effets visuels. Un défilé de forme et de couleurs, des losanges, rectangles, triangles, jaunes, violets, oranges. L’enchainement parait simple tant l’artiste est habile à manipuler ses fils. Un spectacle loin, de toute pesanteur.
Là où commence l’imprévu, c’est quand deux néerlandais rencontrés au Musée de la marionnette nous rejoignent pour reprendre le bus en direction du spectacle suivant. Ils avaient leurs places et s’étaient garés là, pensant être reconduit là par la suite. Après l’impressionnante interprétation du Giulio Cesar et peut-être sous le choc, ce couple reprend avec nous le bus sans se douter d’abord que nous étions partis pour un retour à Villeneuve d’Ascq. Après quelques kilomètres à un feu rouge, ils s’aperçoivent tout de même que nous nous éloignons de Tournai et que le retour chez nous, n’est pas forcément le retour chez eux. Nous leur ouvrons alors la porte et les voyons disparaître. Côté français, tout le monde est bien rentré, nous espérons qu’il en est de même de leur côté. Nous retiendrons donc cette leçon : ne pas monter dans le premier bus venu, ou s’assurer au moins de sa destination !
Henri
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Après J-C.
Il y a des initiales qui marquent, la naissance de J-C ouvre un nouveau cycle dans l’Histoire. Mais Jésus-Christ s’il monopolise ces deux lettres ne fait pas oublier Jules César. Ce raccourci alphabétique ne marche pas en italien, mais il établit pour un français un lien auquel il est difficile de ne pas penser. Surtout comme ce soir où l’on prend place sur le dallage froid de la Chapelle de Choiseul à Tournai.
L’interprétation du Giulio Cesare par Castellucci ne retient pas les dialogues de Shakespeare ou si peu : la scène d’ouverture où les tribuns appellent le peuple à se méfier de César et à réfréner son enthousiasme pour ce héros militaire, l’éloge funèbre d’Antoine après la mort de César. Pour autant la question de la parole dans ce spectacle est centrale. Où la parole naît, où la parole meurt. C’est une caméra qui entre par le nez, s’enfonce dans la gorge et nous projette l’image d’une glotte qui s’agite, une voix qui vient de l’intérieur. C’est le trou d’un patient qui a été trachéotomiser par lequel s’échappe un filet de voix.
Tout l’enjeu de la pièce de Shakespeare est de savoir si César, acclamé comme un dieu, acceptera la couronne du tyran ou si respectueux des institutions il garantira le maintien de la République. L’ambition de César est la source de rumeur, on le suspecte plus qu’on ne l’accuse : il vaut mieux tuer le serpent de l’œuf que de le laisser éclore. C’est moins à l’homme qu’à ce qu’il représente que les conspirateurs s’en prennent lorsqu’ils l’assassinent. Et ainsi Castellucci ne laisse pas à César le soin de s’exprimer ; celui-ci ne saurait être entendu des conspirateurs pour qui, sa prestance est déjà coupable.
Pour Castellucci, ce n’est pas l’homme, Jules César, qui pose problème mais le piédestal sur lequel il repose. Les statues qu’on lui dresse autant que les honneurs qu’on lui rend. Peut-on laisser un homme prendre le dessus sur les autres, écraser ses adversaires ? César dans cette représentation rappelle davantage l’homme d’action que l’homme de parole. Peut-on laisser un homme s’élever au rang de Dieu ? L’autorité qui émane de lui se manifeste aux spectateurs par les bruits de tonnerre et de puissance qui s’élèvent à chacun de ses gestes. Pour les conspirateurs, dont son fils Brutus, il faut tuer César, étouffer cette force, éteindre l’aura qui l’entoure. A la mort de César, emmené de l’autre côté du rideau sous le regard des spectateurs, la scène est bien vide.
Et les lumières, autant d’étoiles, comme coupables s’éteignent une à une, nous laissant dans le noir. Et nous aussi qui n’avons rien fait, rien dit, quittons le lieu du crime comme complice. L’inquiétude n’est pas loin de ce qui vient avec le meurtre, de ce qui accompagne le pouvoir.
Romeo Castellucci – Giulio Cesare. Pezzi Staccati
Henri
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Quand la Sociologie Lithuanienne Rencontre le Public Français : Have a Good Night !
C’est toujours chouette d’entrer dans une salle de spectacle et de voir que nous serons assis sur la scène, au même niveau que les acteurs. On se retrouve partie prenante de la pièce. Acteurs et spectateurs donc. On regarde et on est regardé …
Si les chants lyriques de ces dix adorables femmes ont laissé dans mon oreille une rythmique incessante, les deux images que j’ai encore en mémoire ne les concernent pas directement. Ce qu’il me reste de ce spectacle, ce sont l’avant et l’après.
Avant le spectacle, on entre sur scène et on s’étonne de voir déjà ces dix caissières scanner des codes-barres, têtes baissées. Pour autant, tant que les lumières restent allumées, personne ne leur prête vraiment attention – tout comme nous ne prenons pas le temps de vraiment regarder la caissière de chez Leclerc. Disons qu’une personne sur sept les observait avant qu’elles ne se mettent à chanter : le cliché du Français bien trop centré sur lui-même !
Après le spectacle, la lumière se rallume, les caissières se remettent à scanner leurs codes-barres, têtes baissées. Et là, perplexité entière … Est-ce la fin de la représentation ? Personne n’ose applaudir ; les femmes restent dans leur personnage. En fait, ce qu’elles attendent, c’est qu’après une heure à écouter leurs histoires, leurs rêves et leurs désespoirs, on leur fasse un signe. Les secondes passent, toujours rien … Quelques minutes se sont écoulées … Un leader d’opinion se démarque alors des autres dans la foule et se met à applaudir : nos dix femmes relèvent la tête et nous sourient ! Elles ont réussi, plusieurs dizaines de Français les acclament, elles, ces invisibles caissières !
Comme quoi au NEXT, les Français écoutent leurs prochains !
Clément
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Justine